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Yves Gonzalez-Quijano

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 http://doc-iep.univ-lyon2.fr/Ressources/Documents/Enseignements/MO/MO301/cours4.html

 

Une approche méthodologique qui vient  éclaircir les termes du débat Tradition et modernité dans la pensée arabe contemporaine. Une analyse qui, loin des approches ethniques, permet, d'appréhender depuis la connaissance de la culture arabe les dynamiques en mouvement. La modernité ne saurait se réduire au port d'un vêtement « tant il est vrai que la culture arabe, comme toutes les cultures du reste, doit (autant que possible bien entendu) être appréhendée à partir d'elle-même, à travers ses mots, ses catégories linguistiques qui sont autant de manières de représenter le monde, et de penser… » Bonne lecture !

 

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"On peut également penser que si la culture arabe moderne paraît tellement "politisée", c'est enfin parce que la culture est le lieu de la transmission, celui où se formulent les représentations de soi à un moment où, faute peut-être d'un espace politique suffisant, le monde arabe contemporain a placé au centre de ses préoccupations le rapport à l'Autre et donc la question identitaire, y compris dans ses aspects illusoires (car l'identité n'est jamais une forme figée, fixe, mais au contraire constamment reconstruite).

Pour comprendre cette attitude et ces enjeux, partir des termes forgés par les acteurs eux-mêmes, quels qu'ils soient (les termes et les acteurs), est une bonne voie tant il est vrai que la culture arabe, comme toutes les cultures du reste, doit (autant que possible bien entendu) être appréhendée à partir d'elle-même, à travers ses mots, ses catégories linguistiques qui sont autant de manières de représenter le monde, et de penser…

4.1. Les termes du débat modernité vs tradition

"Modernité vs tradition" : cette formule qui revient sans cesse dans les discours arabes peut être un piège capable d'entraver toute élaboration d'un questionnement sérieux sur les enjeux de la culture moderne. En tout cas, la formule apparaît avec la Renaissance arabe, et ce sont les conditions de la rencontre (plutôt que découverte) de la modernité européenne (occidentale), qui l'ont placée, pour longtemps encore peut-être, au centre des débats.

Dans la culture arabe moderne, on utilise le plus souvent (dans une relation dont l'opé-rateur logique - et/ou - n'est pas précisé mais qui sous-entend l'exclusion) deux termes qui ne sont pas innocents : hadâtha et asâla. Le premier fait référence déjà à ce qui est nouveau ("Modernes" par opposition à "Anciens", comme dans la querelle du même nom, et non pas au sens de modernité, introduit par Balzac en 1823).

Mais c'est surtout le second qui est lourd, en arabe, de connotations dans la mesure où la racine ASL désigne ce qui a conservé un lien avec l'origine, ce qui, en ce sens, est "authentique". Par consé-quent, l'opposition entre modernité et tradition est présentée en des termes non seulement différents, mais, en vérité, biaisés, comme si l'authenticité se confondait à la fidélité avec les origines (cf. le cours 1.1. pour l'importance de cette notion dans la culture arabe classique), et comme si la modernité impliquait nécessairement la rupture avec ce lien au passé, et donc "l'inauthenticité".

 Dans ce contexte linguistique, on passe aisément de ce qui est perçu comme "moderne" à ce qui serait étranger à la culture arabo-musulmane. Un glissement que traduisent d'autres paires opposées largement utilisées dans le débat sur la culture et la pensée modernes, par exemple entre ce qui serait "hérité" (mawrûth) et ce qui serait "arrivé" (i.e. de l'extérieur, de l'étranger, wâfid). En filigrane, on distingue aisément la crainte de voir la spécificité (khusûsiyya, dans ce contexte opposée à l'universalité, 'âlamiyya) de cette culture, de cette civilisation, disparaître sous l'intrusion de valeurs et de représentations nouvelles. Cette inquiétude, dans sa forme extrême, l'islam politique s'en est emparé pour imposer de nos jours, dans le discours politique et l'opinion publique, le slogan de "l'invasion culturelle" (al-ghazw al-thaqâfi).

 

En plus des différentes tentatives visant à dépasser la contradiction posée en de tels termes, il convient de noter :

 

 1) que ces notions sont non seulement floues mais égale-ment historisées, en ce sens que les représentations placées sous ces mots non seulement évoluent mais, à dire vrai, n'ont aucune existence car la tradition n'existe pas plus que la modernité (cf. ci-dessous § 0.2.2. et 4.3.),

 

2) que les notions implicitement antagonistes dans ces paires opposées ne sont pas strictement culturelles ou intellectuelles, mais aussi politiques et morales, en ce sens qu'il s'agit aussi de visions du monde à partir desquelles on renvoie dos à dos, par exemple, tradition ET islam d'un côté, et modernisation ET Occidentalisation de l'autre, 3) que ces notions, y compris dans leur inadéquation, traduisent une authentique inquiétude, une véritable interrogation identitaire.

4.2. Les tentatives "conciliatrices" (tawfîqiyya)

"La modernisation, pas l'Occidentalisation" rappelait une page publiée en 1994 par les autorités saoudienne dans le quotidien Le Monde. Comme le montre à sa façon cet exemple, nombre de tentatives ont cherché à résoudre la contradiction (largement) créée par les termes utilisés pour la poser, notamment en proposant des lectures conciliatrices (tawfiqiyya) de ce qui était posé au départ comme un dilemme.

Dans le domaine de l'histoire des idées, les solutions les plus tranchées (du type : Ø héritage/modernité contre 100 % modernité/héritage) sont largement dominées par les tentatives de synthèse. Parmi celles qui privilégient le pôle (prétendument) traditionnel figure en bonne place la pensée dite salafiste (réformatrice religieuse, par l'imitation des Anciens), laquelle accepte un certain usage de la raison, de la réforme, mais au sein d'une vision religieuse conforme à l'ordre hérité. L'inverse de cette position, c'est celle qui met l'accent sur la nécessité d'une modernisation respectueuse de l'héritage, de la personnalité arabe et/ou musulmane, en fonction de formules aussi variées que répandues.

 Le dilemme tradition/modernité est également fondamental pour la compréhension de la culture politique arabe contemporaine. Le couple conceptuel fondateur se traduit, au départ, par une opposition entre conservateurs et progressistes, laquelle se redouble de l'opposition entre partisans d'une représentation politique du religieux (califat, islam poli-tique) et militants laïcs, nationalistes arabes et/ou progressistes).

Il va de soi que le jeu politique a donné naissance, de manière plus ou moins instrumentalisée, à toutes sortes d'associations qui ont vidé de leur substance des notions de toute manière assez floues. En fonction des conjonctures locales et historiques, l'islam politique peut s'affirmer conservateur (Arabie saoudite) ou révolutionnaire (République islamique d'iran), tandis que l'arabisme revendiquera, plus ou moins ouvertement et audacieusement, une légitimité religieuse (Libye de Qaddafi, Irak de saddam Hussein lors de la guerre du Golfe…).

Tag(s) : #reflexions
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