Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dans mes notes de lecture j'ai eu à retrouver un des penseurs du contrat social  et certains passages m'ont semblé d'une sagesse telle que je me suis crû obligé de les partager avec mes lecteurs.Le passage que je cite aujourd'hui est extrait d'un texte publié par JJ ROUSSEAU citoyen de genéve dans l'encyclopédie link lecture vivifiante !

La premiere & plus importante maxime du gouvernement légitime ou populaire, c’est-à-dire de celui qui a pour objet le bien du peuple, est donc, comme je l’ai dit, de suivre en tout la volonté générale ;

mais pour la suivre il faut la connoître, & sur-tout la bien distinguer de la volonté particuliere en commençant par soi-même ; distinction toûjours fort difficile à faire, & pour laquelle il n’appartient qu’à la plus sublime vertu de donner de suffisantes lumieres. Comme pour vouloir il faut être libre, une autre difficulté qui n’est guere moindre, est d’assurer à la fois la liberté publique & l’autorité du gouvernement.

Cherchez les motifs qui ont porté les hommes unis par leurs besoins mutuels dans la grande société, à s’unir plus étroitement par des sociétés civiles ; vous n’en trouverez point d’autre que celui d’assurer les biens, la vie, & la liberté de chaque membre par la protection de tous :

or comment forcer des hommes à défendre la liberté de l’un d’entre eux, sans porter atteinte à celle des autres ? & comment pourvoir aux besoins publics sans altérer la proprieté particuliere de ceux qu’on force d’y contribuer ? De quelques sophismes qu’on puisse colorer tout cela, il est certain que si l’on peut contraindre ma volonté, je ne suis plus libre, & que je ne suis plus maître de mon bien, si quelqu’autre peut y toucher.

Cette difficulté, qui devoit sembler insurmontable, a été levée avec la premiere par la plus sublime de toutes les institutions humaines, ou plûtôt par une inspiration céleste, qui apprit à l’homme à imiter ici-bas les decrets immuables de la divinité. Par quel art inconcevable a-t-on pû trouver le moyen d’assujettir les hommes pour les rendre libres ? d’employer au service de l’état les biens, les bras, & la vie même de tous ses membres, sans les contraindre & sans les consulter ? d’enchaîner leur volonté de leur propre aveu ? de faire valoir leur consentement contre leur refus, & de les forcer à se punir eux-mêmes, quand ils font ce qu’ils n’ont pas voulu ? Comment se peut-il faire qu’ils obéissent & que personne ne commande, qu’ils servent & n’ayent point de maître ; d’autant plus libres en effet que sous une apparente sujétion, nul ne perd de sa liberté que ce qui peut nuire à celle d’un autre ? Ces prodiges sont l’ouvrage de la loi. C’est à la loi seule que les hommes doivent la justice & la liberté.

C’est cet organe salutaire de la volonté de tous, qui rétablit dans le droit l’égalité naturelle entre les hommes. C’est cette voix céleste qui dicte à chaque citoyen les préceptes de la raison publique, & lui apprend à agir selon les maximes de son propre jugement, & à n’être pas en contradiction avec lui-même. C’est elle seule aussi que les chefs doivent faire parler quand ils commandent ; car si-tôt qu’indépendamment des lois, un homme en prétend soûmettre un autre à sa volonté privée, il sort à l’instant de l’état civil, & se met vis-à-vis de lui dans le pur état de nature où l’obéissance n’est jamais prescrite que par la nécessité.

Le plus pressant intérêt du chef, de même que son devoir le plus indispensable, est donc de veiller à l’observation des lois dont il est le ministre, & sur lesquelles est fondée toute son autorité. S’il doit les faire observer aux autres, à plus forte raison doit-il les observer lui-même qui jouit de toute leur faveur. Car son exemple est de telle force, que quand même le peuple voudroit bien souffrir qu’il s’affranchît du joug de la loi, il devroit se garder de profiter d’une si dangereuse prérogative, que d’autres s’efforceroient bien-tôt d’usurper à leur tour, & souvent à son préjudice.

Au fond, comme tous les engagemens de la societé sont réciproques par leur nature, il n’est pas possible de se mettre au-dessus de la loi sans renoncer à ses avantages, & personne ne doit rien à quiconque pretend ne rien devoir à personne. Par la même raison nulle exemption de la loi ne sera jamais accordée à quelque titre que ce puisse être dans un gouvernement bien policé. Les citoyens mêmes qui ont bien mérité de la patrie doivent être récompensés par des honneurs & jamais par des privileges : car la république est à la veille de sa ruine, si-tôt que quelqu’un peut penser qu’il est beau de ne pas obéir aux lois. Mais si jamais la noblesse ou le militaire, ou quelqu’autre ordre de l’état, adoptoit une pareille maxime, tout seroit perdu sans ressource.

La puissance des lois dépend encore plus de leur propre sagesse que de la sevérité de leurs ministres, & la volonté publique tire son plus grand poids de la raison qui l’a dictée : c’est pour cela que Platon regarde comme une precaution très-importante de mettre toûjours à la tête des édits un préambule raisonné qui en montre la justice & l’utilité.

En effet, la premiere des lois est de respecter les lois : la rigueur des châtimens n’est qu’une vaine ressource imaginée par de petits eiprits pour substituer la terreur à ce respect qu’ils ne peuvent obtenir. On a toujours remarqué que les pays où les supplices sont le plus terribles, sont aussi ceux où ils sont le plus frequens ; de sorte que la cruauté des peines ne marque guere que la multitude des intracteurs, & qu’en punissant tout avec la même séverité, l’on force les coupables de commettre des crimes pour échapper à la punition de leurs fautes.

Mais quoique le gouvernement ne soit pas le maître de la loi, c’est beaucoup d’en être le garant & d’avoir mille moyens de la faire aimer. Ce n’est qu’en cela que consiste le talent de régner. Quand on a la force en main, il n’y a point d’art à faire trembler tout le monde, & il n’y en a pas même beaucoup à gagner les cœurs ; car l’expérience a depuis long-tems appris au peuple à tenir grand compte à ses chefs de tout le mal qu’ils ne lui font pas, & à les adorer quand il n’en est pas haï. Un imbécille obei peut comme un autre punir les forfaits : le véritable homme d’état sait les prévenir ; c’est sur les volontés encore plus que sur les actions qu’il étend son respectable empire. S’il pouvoit obtenir que tout le monde fit bien, il n’auroit lui-même plus rien à faire, & le chef d’œuvre de ses travaux seroit de pouvoir rester oisif. Il est certain, du moins, que le plus grand talent des chefs est de déguiser leur pouvoir pour le rendre moins odieux, & de conduire l’état si paisiblement qu’il semble n’avoir pas besoin de conducteurs.

Je conclus donc que comme le premier devoir du législateur est de conformer les lois à la volonté générale, la premiere regle de l’économiepublique est que l’admimstration soit conforme aux lois. C’en sera même assez pour que l’état ne soit pas mal gouverné, si le legislateur a pourvû comme il le devoit à tout ce qu’exigeoient les lieux, le climat, le sol, les mœurs, le voisinage, & tous les rapports particuliers du peuple qu’il avoit à instituer. Ce n’est pas qu’il ne reste encore une infinité de détails de police & d’économie, abandonnés à la sagesse du gouvernement : mais il a toujours deux regles infaillibles pour se bien conduire dans ces occasions ;

l’une est l’esprit de la loi qui doit servir à la décision des cas qu’elle n’a pû prévoir ; l’autre est la volonté générale, source & supplément de toutes les loix, & qui doit toujours être consultée à leur défaut. Comment, me dira-t-on, connoître la volonté générale dans les cas ou elle ne s’est point expliquée ?

Faudra-t-il assembler toute la nation à chaque évenement imprévû ?

Il faudra d’autant moins l’assembler, qu’il n’est pas sûr que sa décision fût l’expression de la volonté générale ; que ce moyen est impraticable dans un grand peuple, & qu’il est rarement nécessaire quand le gouvernement est bien intentionnecar les chefs savent assez que la volonté générale est toûjours pour le parti le plus favorable à l’intérét public, c’est-à-dire le plus équitable ; de sorte qu’il ne faut qu’être juste pour s’assurer de suivre la volonté générale.

Souvent quand on la choque trop ouvertement, elle se laisse appercevoir malgre le frein terrible de l’autorité publique. Je cherche le plus près qu’il m’est possible les exemples à suivre en pareil cas. À la Chine, le prince a pour maxime constante de donner le tort à ses officiers dans toutes les altercations qui s’élevent entr’eux & le peuple. Le pain est-il cher dans une province ? l’intendant est mis en prison : se fait-il dans une autre une émeute ? le gouverneur est cassé, & chaque mandarin répond sur sa tête de tout le mal qui arrive dans son département. Ce n’est pas qu’on n’examine ensuite l’affaire dans un procès régulier ; mais une longue expérience en a fait prévenir ainsi le jugement. L’on a rarement en cela quelque injustice à réparer ; & l’empereur persuadé que la clameur publique ne s’éleve jamais sans sujet, démêle toujours au-travers des cris séditieux qu’il punit, de justes griefs qu’il redresse.

Formez donc des hommes si vous voulez commander à des hommes ; si vous voulez qu’on obéisse aux lois, faites qu’on les aime, & que pour faire ce qu’on doit, il suffise de songer qu’on le doit faire. C’étoit là le grand art des gouvernemens anciens, dans ces tems reculés où les philosophes donnoient des lois aux peuples, & n’employoient leur autorité qu’à les rendre sages & heureux. De-là tant de lois somptuaires, tant de reglemens sur les mœurs, tant de maximes publiques admises ou rejettées avec le plus grand soin. Les tyrans mêmes n’oublioient pas cette importante partie de l’administration, & on les voyoit attentifs à corrompre les mœurs de leurs esclaves avec autant de soin qu’en avoient les magistrats à corriger celles de leurs concitoyens. Mais nos gouvernemens modernes qui croyent avoir tout fint quand ils ont tiré de l’argent, n’imaginent pas même qu’il soit nécessaire ou possible d’aller jusque-là.

Tag(s) : #reflexions
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :